Histoires

L'Est républicain : 1889-1918

Nancy, 1889. C’est dans une ville marquée par l’annexion et la défaite que naît l’Est Républicain. C'est un journal électoraliste, qui porte le sentiment patriotique de toute la Lorraine ; il va réussir à s’imposer dans le milieu de la presse nancéienne. De Léon Goulette à René Mercier, les rédacteurs en chef vont donner à l’"Est" sa personnalité, et le faire évoluer, dans un contexte politique et social parfois difficile. Toujours fidèle aux nancéiens, il va surmonter les obstacles et survivre à la Grande guerre.

L'Est républicain : 1889-1918
La naissance du journal

Le contexte

Nancy en 1889 : la cité de Stanislas est un avant poste à une vingtaine de kilomètres de la frontière imposée en 1871. La défaite et l’annexion ont fait de Nancy la ville la plus militarisée de France. Dans cette Lorraine où le patriotisme est la valeur première, le boulangisme fait son apparition, représenté par Maurice Barrès.

Nancy voit affluer de nombreux industriels venus de l’Alsace et de la Moselle annexées, et attire par conséquent des milliers d’ouvriers.

C’est dans ce contexte que naît L’Est Républicain, « un journal à cinq centimes, mis ainsi à la portée des petites bourses et ayant pour mission principale de préparer et de soutenir la candidature républicaine ». Il est porté par de nombreux souscripteurs de sensibilité républicaine : industriels (Tourtel, Vilgrain, Daum…), parlementaires de la région, membres du parti républicain (J. Méline, J. Ferry, Alfred Mezières,…), personnalités politiques de Nancy et de la Lorraine.

L’Est est donc bien le journal de la bourgeoisie républicaine de l’époque. Après quelques difficultés matérielles qui retardent le lancement, le premier numéro paraît à une date propice : le 5 mai 1889, jour de l’inauguration de la Grande exposition universelle de 1889 par le président Carnot (où le public va notamment découvrir la Tour Eiffel).

Le petit journal électoral est en fait promis à un enracinement exceptionnel.

L’enracinement

Malgré l’échec des républicains aux élections cantonales et législatives de 1889 et des ressources limitées, L’Est Républicain réussira néanmoins à s’implanter dans le milieu pourtant déjà encombré de la presse nancéienne, où le pluralisme fleurit. On y compte cinq journaux, dont trois déjà anciens : le Journal de la Meurthe et des Vosges, né en 1799, L’Espérance, née en 1838, mais surtout L’Impartial, le plus vendu jusqu’en 1914.

Le succès de L’Est Républicain est avant tout dû à son premier rédacteur en chef et fondateur Léon Goulette, dont la personnalité haute en couleur va donner au journal son style et une position à la fois républicaine et nationaliste. D’esprit vif, volontiers polémiste, il donne au journal une vraie personnalité. Les rubriques s’étoffent et se multiplient, l’information locale se développe et le sport fait son entrée dans les colonnes, tout comme la rubrique « dernière heure », grâce au téléphone.

L’émancipation

Le quotidien régional qu’il est devenu se démarque de son rôle politique.

Aux grèves dans la sidérurgie, dans les mines et dans les industries textiles s’ajoute la xénophobie contre les immigrés, et l’antisémitisme de l’affaire Dreyfus, sans oublier les prémices de la séparation de l’Église et de l’État. Sa position fermement antidreyfusarde l’empêchera de faire marche arrière, et après les élections législatives de 1911, Léon Goulette est évincé.

L'Est républicain : 1889-1918
Le développement

René Mercier

Le premier avril 1911, René Mercier remplace Léon Goulette à la tête du journal. Homme d’expérience, c’est avant tout un patron de presse, qui voit les choses en professionnel. Il écrit souvent, signe deux à trois éditoriaux par semaine, et donne l’impression d’une discussion à bâton rompus avec ses lecteurs. La consolidation de la république est son principal souci. Il est laïc, et profondément libéral.

René Mercier à tout de suite jugé utile l’ouverture d’une agence à Paris ; c’est indispensable pour recueillir à la source les informations politiques, les annonces, et publicités, dont il à deviné l’essor : bientôt, les bénéfices qu’elle dégage va permettre l’autofinancement du journal.

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Portrait des directeurs et rédacteurs de l'Est républicain

Un nouveau siège

Les années 1911 à 1914 sont décisives. En 1911, L’Est tire à 21000 exemplaires répartis en trois éditions. L’une des premières tâches de René Mercier va être d’organiser l’installation du nouveau siège. À sa naissance, l’Est avait installé sa rédaction à Nancy, rue Saint-Dizier, dans des locaux devenus rapidement incommodes et exigus. Le matériel est à bout de souffle. Finalement, un terrain est acheté à la Compagnie de l’Est, à l’angle du faubourg Saint-Jean. En mars 1913, la rédaction s’installe dans un « hôtel de grande allure », construit en un an seulement par l’architecte Le Bourgeois, d’un style déjà moderne et qui subit encore l’influence de l’École de Nancy.

Parallèlement, René Mercier a acquis du matériel neuf. La nouvelle rotative, dont la vitesse commerciale est de 20 000 exemplaires à l’heure permet d’accroître le nombre de pages et d’éditions sans augmenter le prix. L’Est républicain se place désormais bien au dessus de ses concurrents.

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Siège de l'Est républicain

Le renforcement

René Mercier modernise son journal. Il allège la présentation, améliore la disposition, introduit discrètement la photographie. L’Est passe de trois à six éditions et se lance ainsi dans la conquête des départements voisins des Vosges et de la Meuse. En quelques mois, de nouvelles rubriques apparaissent : mode, bulletin industriel, pages agricoles,…

Mercier recrute de jeunes journalistes, de nouveaux collaborateurs, et accroît le nombre de correspondants.

Placé à la frontière franco-allemande, L’Est à toujours eu une orientation nationale. Désormais les polémiques ne sont plus de mise. L’Est marche main dans la main avec le préfet, Poincaré a le soutien de la Lorraine. Jusqu’en 1914, L’Est va rester à gauche, tout en se montrant sévère avec les pacifistes et les antimilitaristes.

L'Est républicain : 1889-1918
Les années de guerre

Un journal patriote

C’est en maintenant cet idéal patriotique que L’Est Républicain suit la situation internationale, notamment les relations franco-allemandes. Malgré le climat tendu à la frontière, et les incidents qui éclatent dans toute la région, le quotidien essaie de ne pas grossir les évènements. À l’été 1914, il règne à Nancy une ambiance calme et sereine, qui masque à peine le sentiment d’attente que partage la population. L’annonce de la guerre n’étonne personne.

En 1914 la déclaration de guerre vide la rédaction, les bureaux et les ateliers d’une grande partie du personnel. Nancy se trouve bientôt en pleine zone de combats. La censure militaire exerce un contrôle implacable sur le contenu de l’information, et les communications avec Paris sont menacées. Le journal continue pourtant de paraître, parfois sur une simple feuille recto verso. René Mercier, resté à Nancy, va jouer un rôle important pendant la bataille du Grand Couronné, notamment en contribuant à maintenir le moral de la population quand celui-ci est au plus bas, comme lorsqu’on envisage d’évacuer la ville en 1918.

 

Le désastre
 

Dans la nuit du 26 au 27 février 1918, l’imprimerie est bombardée, les rotatives sont ensevelies sous les gravats. Malgré tout, un numéro exceptionnel d’une seule page imprimée au recto et blanche au verso, sortira des presses.

Le quotidien s’est toujours battu contre la censure dont il faisait l’objet. Nancy ne se situait qu’à une quinzaine de kilomètres du front, dans une région envahie, mais L’Est Républicain s’est placé avec conviction sur la ligne défendue par Poincaré et y restera fidèle jusqu’à la fin de la guerre.

Voir tous les numéros numérisés de l'Est Républicain.