Histoires
Metzer Freies Journal
Le 19 juin 1919 paraît le premier numéro du Metzer freies Journal, sous la direction de son fondateur Victor Demange. Grâce à ses efforts et sa ténacité, en trente ans, le Metzer devient le journal le plus lu de Lorraine du Nord.
La détermination de Victor Demange à l'épreuve des rancunes et de la guerre
Catholique et engagé : l’épiphanie d’un journaliste déterminé
Victor Demange nait en 1888 en plein territoire annexé. Il parle alors le dialecte germanique de son village et apprend l’allemand à l’école. Remarqué pour sa vivacité d’esprit par le clerc de son village, il est envoyé aux Pays-Bas pour poursuivre son instruction dans une école catholique plus prestigieuse. À son retour en Moselle, il fait la connaissance des journalistes de la Volkstimme. C’est ainsi qu’il découvre sa vocation : il veut devenir un journaliste politique et de l’action catholique. Pendant la Grande guerre, il travaille avec des journaux catholiques avant d’être mobilisé en 1917 au Saarlouiser Journal. Cependant, il quitte le journalisme catholique en 1919 pour cause de désaccords avec le clergé, sans pour autant renier sa foi. Dix-neuf jours plus tard, Victor Demange lance le Metzer freies Journal.
Un retour en France loin d’être idyllique
Le rattachement de l’Alsace-Lorraine à l’Etat français ne se fait pas sans complication pour les personnes nées pendant l’Annexion car la majorité d’entre elles ne parlent qu’allemand et il y a un fort rejet du « boche » après la guerre. Victor Demange décide d’orienter son journal vers les germanophones mosellans. Il défend une orientation politique chrétienne démocrate, qui se détourne du système clérical et qui soutient le syndicalisme ouvrier et l’aide de l’Etat aux plus démunis. C’est donc un journal considéré comme « de gauche » par ses lecteurs et ses détracteurs.
« L’affaire Demange »
Durant l’été 1919, un climat hostile aux germanophones s’installe durablement en Lorraine. C’est pour cette raison que les ouvriers ne parlant pas français aiment lire le Metzer Freies, et que les autorités vont accuser le journal de soutenir les grèves des cheminots… Le 8 octobre 1919, Victor Demange et arrêté et inculpé pour « avoir imprimé sciemment diverses fausses nouvelles dans le but de troubler l’ordre public » par décision du gouverneur militaire, le général Maud’Huy. Son journal est suspendu pendant un mois et il est incarcéré à deux reprises, du 8 au 27 octobre et du 4 novembre au 2 décembre, date à laquelle la justice déclare un non-lieu. C’est une victoire personnelle pour Victor Demange qui a gardé jusqu’à la fin de sa vie un dossier contenant les coupures de presse à sa charge dans un dossier nommé « mon Calvaire, ma gloire ! ».
Les 1930 Glorieuses
Le journal connait une progression rapide pendant l’entre-deux guerres. La détermination de Demange lui permet de faire perdurer son œuvre malgré ses difficultés à garder une rédaction stable (départs pour cause de divergence politique, début de la Seconde guerre mondiale, entre autres). En 1922, le bureau-magasin rue de la Tête d’or réunissent quatre rédacteurs, un secrétaire et un correcteur. Des agences sont ouvertes à Thionville, Sarreguemines et Forbach. En 1934, l’équipe de rédaction s’est sensiblement agrandit. La rédaction est déménagée rue Serpenoise et elle emploie des journalistes spécialisés dans le sport, qui est le point fort du journal et qui le démarque de ses concurrents, en plus de ses riches illustrations et de ses publicités. L’aire de diffusion s’étend et le nombre de tirages grimpe proportionnellement jusqu’au début de la guerre.
La page de l’Annexion est définitivement tournée
La réhabilitation de Victor Demange est actée grâce au succès de son entreprise et sa longévité. Ses collègues journalistes considèrent le Metzer freies comme une pierre angulaire de la presse lorraine, et Victor côtoie régulièrement les hauts fonctionnaires du département. Le 13 septembre 1936, il décide de lancer un nouveau quotidien : Le Républicain Lorrain. Ce projet, dans ses pensées depuis les premiers numéros du Metzer freies, a tardé à se mettre en place pour des raisons financières. Il est cependant destiné à reprendre le flambeau de son aîné qui s’arrête le 14 juin 1940.
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Source : Roth, François, Le temps des journaux, Editions Serpenoise, Presses Universitaires de Nancy, 1983, 276 pages.